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Incendies : le danger de la bonne conscience

25/09/2021

Face au risque d'incendies comme face à d'autres dangers et d'autres peurs, Sampiero Sanguinetti nous met en garde contre la tentation de désigner un bouc-émissaire. Car les responsabilités sont souvent plus collectives et partagées qu'il n'y paraît.

Une grave alerte à l’incendie a concerné la Corse à la fin du mois d’août. Cinq départs de feu ont été observés entre Sartène et Sotta qui ont conduit à une forte mobilisation des moyens de lutte.
 
Comme cela se produit très souvent, les observateurs placés aux première loges, maires, gendarmes, journalistes, ont largement privilégié l’hypothèse d’un incendie criminel : « Les différents foyers en bord de route, l’horaire rapproché de ces départs et le fait qu’on ait un coup de vent, laisse peu de place au doute concernant la nature criminelle de ces actes » a déclaré le maire de Monaccia d’Aullène. Hypothèse confirmée par un représentant de la gendarmerie de Sartène.  
 
Ce genre de déclaration, immédiatement reprise par les journalistes, pose problème. Pourquoi ? Premièrement parce qu’au moment où elles sont formulées, aucune preuve réelle ne permet d’être aussi affirmatif. Deuxièmement, et c’est le plus grave, parce qu’en termes de prévention des risques à venir, ces déclarations hâtives peuvent s’avérer contre-productives. En d’autres termes elles peuvent conduire à intensifier le danger.

Des causes de départ de feu variées
Les causes principales d’incendies dans nos régions sont évidentes : le manque d’entretien des espaces naturels en raison du recul des activités agro-pastorales, les chaleurs excessives au moment des canicules estivales, l’assèchement des sols et des végétaux, le vent qui accroît le phénomène de l’assèchement, attise, porte les braises et pousse le feu, enfin l’afflux considérable de milliers d’individus qui se répandent, aux pires moments qui soient, à proximité de cette nature hautement inflammable. La somme de ces risques fait, durant la période estivale, de chacun d’entre nous un fauteur potentiel et involontaire d’incendies.
 
Les facteurs déclenchants ensuite sont nombreux. Le facteur accidentel le plus connu est celui de la foudre. D’autres sont rarement évoqués, comme la circulation de lignes à haute tension au-dessus de zones en friche ou le nettoyage insuffisant des broussailles le long des lignes de chemin de fer d’où fusent parfois des étincelles. Plus proche de nous, les braises mal éteintes de feu de camp sur les lieux de camping ou à proximité des chemins de randonnée. Enfin il n’est que de voir le nombre impressionnant de tessons de bouteilles et de mégots de cigarettes qui jonchent le bord des routes pour comprendre que l’imprudence et l’incivisme nous concernent tous.
 
Il existe aussi, bien sûr, des causes intentionnelles d’incendies dues à des formes de folie, à la malveillance ou liées à des intérêts divers.  Ces intérêts vont de l’écobuage à la spéculation foncière en passant par la curiosité morbide, le désir de percevoir les primes éventuellement liées à la lutte contre le fléau, ou, pourquoi pas, les exigences de l’industrie. Il faut ici préciser que l’équilibre est très difficile à trouver entre la lutte et la prévention. Un investissement trop important dans la lutte peut s’avérer très dangereux. La dotation en matériels extrêmement couteux (pompes, camions, hélicoptères, canadairs…) génère l’existence d’une véritable industrie du feu. Le danger est alors le même que celui qui existe autour des industries d’armements. La survie de ces industries dont dépendent beaucoup d’emplois, finit par se nourrir de l’existence du fléau. Les industries de l’armement ont besoin de la guerre et les industries du feu ont besoin du feu.  
 
Les statistiques révèlent que les causes involontaires d’incendies seraient à l’origine d’environ 33% des sinistres quand les causes liées à la malveillance seraient à l’origine d’environ 27% des sinistres. Pour faire bonne mesure disons que causes accidentelles et causes volontaire sont, en moyenne, chacune à l’origine de 30% des incendies. Le reste se répartissant entre causes indéterminées et foudre.

Le risque de déresponsabilisation
Alors quand les observateurs avertis ont la conviction que le facteur déclenchant est celui de la malveillance, pourquoi ne devraient-ils pas le dire ?
Tout simplement parce qu’en pointant du doigt les supposés criminels, ces acteurs de la vie publique ou de la lutte participent au phénomène de déresponsabilisation et de démobilisation des citoyens honnêtes que nous sommes et qui déclenchons sans le savoir 30% des incendies. En période de risque maximum notre attention doit être mobilisée sur les risques liés à notre propre comportement et à notre propre existence. Nous devons garder à l’esprit que chacun d’entre nous est inconsciemment un danger majeur pour la nature. L’information selon laquelle l’incendie serait avant tout le fait d’intentions criminelles, conduit à minimiser nos éventuelles responsabilités et donc à relâcher notre attention et à accroitre le danger.
Mieux vaut éviter de pointer trop rapidement l’intention criminelle sur laquelle nous avons peu de prises et insister sur l’esprit de vigilance dont nous devons tous faire preuve. Cela n’empêche pas les gendarmes de faire leur travail, éventuellement de découvrir des coupables et de les traduire devant la justice. Il sera toujours temps alors, pour les journalistes, de faire des gros titres sur le scandale, la folie, la méchanceté ou l’avidité de certains individus.
 
Il reste à savoir pourquoi tant de gens ont le réflexe de désigner des coupables intentionnels au lieu d’avouer leur ignorance quant aux causes de l’incendie. Il y a derrière ce réflexe deux raisons principales : calmer ses angoisses et diriger sa colère. Désigner un coupable c’est se donner l’illusion de comprendre ce qui se passe. Cela peut atténuer l’angoisse et cela permet de canaliser les sentiments de colère qui nous submergent. Cela permet aussi, dans certains cas, consciemment ou inconsciemment, de nier nos propres responsabilités éventuelles.